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Note d’intention

 

 

Nous nous sommes réuni·es pendant la période du confinement et avons partagé ensemble les questionnements et égarements que soulevait en nous une telle époque. La crise sanitaire nous obligeait mondialement à l’arrêt et aux bilans, tant personnels que sociétaux. Au milieu de toutes nos colères et nos peurs, nous ne sommes évidemment pas passé·es à côté de la critique convenue mais inévitable du capitalisme. Mais ce mouvement-là nous a rapidement mené·es à une impasse que nous pourrions résumer par un caricatural : « C’est trop injuste, trop horrible ! Comme le capitalisme est vraiment Le Mal ! Comme ces autres qui le font grandir sont des créatures maléfiques et comme nous, les gentil·les, les lucides, nous le subissons et sommes impuissant·es ! ». 

 

Alors, nous avons ri un bon coup et avons commencé à travailler. 

 

Sortir de la pensée enfantine du monstre qui serait hors de nous, qui nous angélise en même temps qu’elle nous plonge dans la passivité complice, est devenu une priorité. Nous nous sommes regardé·es sans complaisance, nous avons vu l’ampleur du chantier et nous avons rêvé à un spectacle qui pourrait être une séance de désenvoûtement du capitalisme.

Cependant, nos réflexions nous avaient notamment amené·es à échanger sur notre métier, sur le théâtre, et puis, plus largement sur le spectacle en lui-même.

Aujourd’hui nous nous demandons si le spectacle vivant peut toujours tenir sa promesse – ou plutôt son pari – dans une société qui a absolument intégré ses codes. Quand ces derniers sont utilisés tous les jours à des fins commerciales, politiques, communicationnelles, quand ils s’appliquent à la construction et à la promotion d’un soi idéalisé, sculpté aux grands principes salvateurs du développement personnel, quand nous avons pris l’habitude de cheminer à coup de buzz et de sensationnel, que représente encore cet espace de la scène, et quel est son impact réel ? C’est donc aussi depuis un constat que nous avons qualifié de « crise du spectaculaire » que nous avons repris notre travail de recherche. Nous avons alors fait la découverte du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa et de son essai Résonance qui aborde les grands points de contorsion et de rupture que subit et se construit en même temps l’individu·e dans une société de l’accélération et de l’aliénation. Ainsi, Hartmut Rosa, lui, parle de « crise de la résonance » ou de « crise du sensible » dans notre rapport aux autres, à notre environnement, mais également à soi.

 

« La résonance n’est pas une relation d’écho, mais une relation de réponse ; elle présuppose que les deux côtés parlent de leur propre voix, ce qui n’est possible que lorsque des évaluations fortes sont en jeu. La résonance implique un élément d’indisponibilité fondamentale. 

 

Les relations de résonance présupposent que le sujet et le monde sont suffisamment « fermés », ou consistants, afin de pouvoir parler de leur propre voix, et suffisamment ouverts afin de se laisser affecter et atteindre. La résonance n’est pas un état émotionnel mais un mode de relation. »

 

 

                                                Extrait de Résonance, Hartmut ROSA

                          

La Séance serait un spectacle qui chercherait à se regarder et à détruire l’évidence du spectaculaire comme puissance intrinsèque et indéboulonnable.

 

Avec La Séance, nous voudrions faire la tentative d’une sorte de cérémonie de désenvoûtement du capitalisme et du spectacle. Nous sommes encore en recherche mais nous avons pour visée de trouver un rapport plus horizontal avec le public ; nous aimerions faire assemblée avec lui, un peu à la manière des groupes de parole, des fêtes ou des cérémonies. Il n’est pas question ici de faire semblant de croire que nous ne sommes pas dans un spectacle, mais plutôt de dévisser les mécanismes du spectaculaire et de l’efficacité. Nous tenons à nous dérouter. Et c’est depuis cette cérémonie – que nous prendrons tout à la fois au sérieux et avec légèreté et humour – que nous inventerons des rituels par lesquels nous convoquerons le spectacle humain : par de petits numéros, comme des transes, des offrandes, des aveux, des miroirs – notre petit cirque humain. 

 

Pour regarder l’individu-spectacle, il nous fallait un angle, une perspective, un point de recul qui nous permette le décollement nécessaire d’avec le réel, et c’est tout naturellement que nous nous sommes penchés sur le cirque et l’imaginaire premier que nous en avions : le cirque comme symbole ancestral du spectacle. 

 

Nous imaginons alors, comme une dramaturgie secrète, que nos numéros-humains pourraient peut-être se transposer à ceux du cirque : le jongleur, le clown, l’équilibriste, la maquilleuse, le dompteur, la transformiste, etc. Des fantômes d’archétypes, des numéros de cirque en négatif. Visuellement, nous naviguons encore, mais nous imaginons qu’il y aura des rideaux de velours, vestiges de cet espace du spectaculaire devenus toiles de fond symboliques de nos petits numéros.

 

La Séance serait donc un aller-retour entre cette cérémonie – cet espace du présent qui réunirait public et acteurs/actrices de MégaSuperThéâtre en une même communauté – et numéros de notre cirque-humain.

La Séance serait un spectacle qui interrogerait la pertinence du spectacle en lui-même dans sa possibilité de nous raconter et de nous relier.

La Séance serait, au milieu de constats accablants sur notre société et notre manière d’habiter le monde, une réunion bizarre pour écouter et regarder au travers du filtre a priori insupportable et incompréhensible de l’autre ; et de là, entrevoir peut-être ses tentatives de fuite et d’envol qui pourraient bien, elles, être jumelles aux nôtres.

La Séance serait une tentative de témoigner, par le spectacle, d’une société où les imaginaires poussent à s’envisager autrement que comme un produit à valoriser.

La Séance ne sauverait personne. Elle n’aurait pas le mot de la fin, elle serait une séance parmi d’autres ; elle s’inscrirait dans un mouvement propre à chacun·e de décollement des croyances et habitus de notre époque : une séance de travail, une tentative de regard, de deuil, de reliance et de prise d’air nouveau.

 

MST

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             ©Maxime DAVIRON, photographe et randonneur (ou c’est l’inverse).

 ©Latifa Echakhck, ou la rencontre d’une plasticienne qui nous a bousculé par sa grâce, 

son intelligence et la façon de traiter cette « crise du spectaculaire ».

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